Perdue au milieu de nulle part, comme ce chant lancinant, qui fait écho à un entre-deux, celui de styles picturaux distincts, où choisit de se construire cette exposition. Perdue au milieu de nulle part, en hommage aux expressions singulières des iles lointaines, des contrées tropicales et subtropicales. Perdue au milieu de nulle part, comme la naissance d’une immersion dans l’univers de Céline Le Vieux. S’il fallait choisir un mot pour résumer ce premier envol solitaire, il apparaitrait comme une évidence : accumulations ; en rapport aux choses, aux couches de peinture, aux espaces colorés, au temps qui passe. Fictives et isolées, riches d’une végétation dense, d’un climat exotique, d’une flore et d’une faune variées, les inspirations picturales poussent le réalisme de l’écologie vers de nouvelles frontières. Les monumentales jungles luxuriantes, dressées devant nous, racontent le monde imaginaire de l’artiste, dans lequel les rayons du soleil ne sont pas forcément perpendiculaires. Ses gris font penser aux nuages qui s’amoncèlent au-dessus des vallées, retenus par les enchainements de montagnes, comme pour ne jamais se défaire de ce temps mitigé ; ses couleurs à cette sensation physique mais aussi sensorielle que laissent la chaleur, les cultures, ou les rites des endroits qui marquent l’âme humaine pour l’éternité. Dans la peur de prendre un risque et dans la peur, pire encore, de ne pas le prendre, il y a ce choix, ou ce non choix, entre le figuratif et l’abstrait. Son point de départ est figuratif. Céline Le Vieux y est à son aise, avec des images plein la tête. Mais rapidement trop de repères se font sentir et c’est alors que le besoin d’y mêler l’abstrait apparaît. Ainsi, elle construit cette série d’œuvres, suspendues, au milieu de nulle part, qui, au comble de l’oxymore, se placent dans une harmonie balancée, dans chacune de ses idées et dans chacun de ses gestes. Peintes majoritairement au couteau, avec des ajouts de roche écrasée et des techniques diverses d’empâtement, prenant la forme d’écorces sur canevas, ses grandes toiles – choix évident dès le départ, comme un combat contre la facilité – ne sont théorisées que dans ses compositions de palettes. Puisées de scènes de nature existantes et ramenées de ses souvenirs par toutes ses images mentales gravées, ces dernières sont finalement déformées pour enfin être réadaptées. Dans l’effacement, elle accumule des couches, pensant mieux se cacher, se camoufler. Laissant percevoir des formes géométriques et d’autres organiques, Céline crée dès lors, quasi inconsciemment, ce paradoxe unique à son style; l’effacement dans l’accumulation, la disparition dans l’ajout. Dans ce va-et-vient presque pesant sur chaque tableau, elle s’acharne, force la faille, cherche le conflit. Dans l’éloignement de l’élément, elle bataille avec l’œuvre, pour arriver à ce point de non retour ; surgissent le lâcher-prise et la vraie route dans la délivrance de son alchimie. Sans jamais totalement se dévoiler, pour mieux laisser place à l’interprétation, elle vit l’introspection et son histoire personnelle se pose en toile de fond, offrant la chance au voyageur de porter son imagination, ses propres rêves, ses souvenirs sur chaque forme, couleur et composition. C’est en fin de compte une invitation au voyage que livre l’artiste. En hypnose devant cet infiniment grand – lieu et œuvres – il est bon de se laisser aller, empor -ter et rêver. « Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur D’aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traitres yeux, Brillant à travers leurs larmes. […] Tout y parlerait A l’âme en secret Sa douce langue natale » .1 Fait d’histoires tropicales singulières et universelles à la fois, ce voyage onirique transporte vers la luxure naturelle. Ce retour aux sources raconte finalement qu’il ne faut pas être malheureux pour savoir la vie.